Le mot du jardinier


Le printemps de cette année 2015 fut plutôt froid et franchement sec.

Lundi 15 juin, il avait plu, beaucoup, au moins 50 mm, et il pleuvait encore au début de cette troisième semaine de juin. Je regardais les nuages et la pluie douce, je sentais l’odeur de l’air comme un bonheur, je regardais et touchais la terre brune et douce. Enfin nous  pourrions semer et planter les cultures d'automne au premier soleil. Beaucoup à semer, carottes, panais, betteraves rouges, cardes, endives et chicorées de vérone, rutabagas, cardons, les choux et poireaux sont à planter. Vite, nous ne sommes pas en avance.
Et il y avait tout le quotidien des récoltes pour le marché. Les asperges à arrêter, ranger les bâches noires qui les recouvraient. Les tomates sont toujours à tailler régulièrement … Beaucoup à faire en quelques jours, pour profiter de la terre humide et chaude, fertile et bien préparée, terre amoureuse qui accueillera les graines et elles germeront, étaleront leurs cotylédons au soleil et grandiront. Terre qui accueillera les plants et fera grandir leurs racines, grandir leurs feuilles.


Samedi 20 juin au soir, je termine les semis et désherbages. Il fait chaud. Les levées sont rapides, trois jours pour les chicorées. Tous les 6 - 8cm, une jeune plante déploie ses deux cotylédons verts, ronds et lisses. Minuscules et fragiles sur la terre sous le soleil. Je suis fatigué par cette semaine.


Lundi 22 juin, la semaine précédente, je n’avais pas de temps pour les doutes, là, les météos annoncent toutes chaud et sec, très chaud même. Le réservoir se vide, le débit de la source captée baisse. Un employé est malade, en arrêt, encore cette semaine. Nous n’aurons pas assez d’eau pour arroser les deux parcelles de pommes de terre irrigables. J’hésite, il faut 40 heures de travail pour planter les choux et autant pour les poireaux. Aller ! y aller ! arracher et planter sous le soleil, désherber, arroser. Croire en l’avenir, planter des plantes qui pousseront et donneront une récolte, produiront des pommes et des fleurs et des fûts et des feuilles et des racines. Nécessaires lendemains. Croire. Nous arrachons les plants de choux, plantons, arrosons. L’eau devient rare. Nous installons un réservoir de 600 litres, à l’avant d’un tracteur pour distribuer de l’eau avec la plantation des poireaux.


Lundi 29 juin, une pompe annexe est en panne. Elle remonte l’eau d’un deuxième captage trop profond, dans le réservoir. 4 heures d’autoroute en pleine chaleur pour un diagnostic et changer la pompe. Mon moral est bas.


Vendredi 3 juillet, les irrigations sont maintenant réservées aux salades, courgettes, pois et haricots. Il y a eu un passage pluvieux, annoncé sur les cartes, bien faible dans les champs.
Les salades sont arrosées tous les jours, les haricots, les courgettes, les pois deux fois par semaine. Et ailleurs, ou nous n’arrosons plus, les plantes accablées de soleil sur la terre grise et brûlante semblent déplacées. Curieuse impression de passage en terre inconnue. Bordure du Sahara,. Les choux, les poireaux fanent, les carottes, endives, betterave et autres attendent, minuscules. Petites feuilles minuscules sur le terre, sous le soleil. Le temps changera bien enfin. Le paysage, les prairies, les arbres sont la marque d’un ordinaire climat océanique, résultat d’un équilibre ancien qui ne peux disparaître en quelques années, même avec un changement climatique violent, … Croire. Avoir la force et l’énergie d’avancer contre des apparences, certain que la vérité sera une relative normalité climatique avec chaque année des particularités. Je dois souvent me convaincre de ne pas être déplacé dans cette aventure, la transmission de l’exploitation à mon fils,  à un moment ou tout semble aller mal pour les plantes et la verdure en Limousin.


Le matin au réveil je regarde le ciel, je guette de mon lit un signe rassurant, un nuage poussé par le vent d’ouest. Je surveille l’évolution des prévisions météos, je soupèse la fiabilité des prévisionnistes des quelques sites web à peut près fiables. Quelques espoirs naissent, les jours sont plus ou moins chaud ou venteux, quelques nuages, mais pas de pluie. Devant les carottes qui souffrent, les choux arrêtés, les poireaux qui fanent, je comprends brusquement tout l’avantage de croire en Dieu comme idéal humain, comme omniscient, comme tout-puissant aussi, comme Dieu bienveillant sur chacun. Tant qu’à croire, croire totalement. Bon ! je ne crois pas ! Je dois faire mon travail au service des petites plantes délicates avec assurance, affirmer si tout n’est pas normal, que demain le sera, il n’y a pas de catastrophe, le moment est à peine un incident. Et tout cela dans une ambiance de canicule au désert..
Pourtant, si ce travail de jardinier je ne le fais pas avec confiance, assurance et rigueur à partir du début, le semis et la plantation, et tout au long, la surveillance des parasites et maladies, le désherbage, la catastrophe en ce mois de juillet 2015, semble certaine pour moi un peu, pour mon fils aussi.
Etre de ce monde et lui faire confiance, seule réponse possible à l’absence de Dieu.


L’ail d’automne arrachée fin juin était belle, l‘ail rose de printemps arrachée au 15 juillet n’est pas terrible. Pour l’échalote arrachée aussi le 15 juillet le rendement est bon.


Les jours de juillet passent. Les 1er, 2, 3 août il pleut, orage et averses, plutôt beaucoup, plus de 50 mm.
Je suis libéré de l’attente. Rien n’a changé et tout à changé. Il fallait choisir d’être de ce monde comme chacune des graines semées, chacun des plant plantés, avancer et grandir à leur moment.
La pluie revient les 11, 12, 13 août.
http://www.potager.fr/vers1/public/mot_du_jardinier
Le 15 août, je choisis de photographier la volonté de vivre.